lundi 10 septembre 2012

Le financement participatif peut-il bâtir des villes ?


Le financement participatif (crowfunding ou “financement par la foule”) est un marché en pleine expansion, expliquait le rapport de Crowdsourcing.org. Les 452 plateformes de financement participatif dénombrées dans le monde en avril 2012 ont récolté 1,1 milliard de dollars de fonds en 2011 pour les projets qu’elles accueillaient – dont plus de la moitié pour des projets hébergés par des plateformes européennes. Comme quoi, le modèle du financement participatif n’est pas un phénomène uniquement lié aux modes de financement anglo-saxons, que l’on dit traditionnellement plus sensibles au mécénat et à la prise de risque que l’Europe. Peut-être parce qu’en fait ce financement participatif fonctionne plutôt de plus en plus comme un système de prévente que comme un système de prise de risque ?
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Image : Répartition des 450 plateformes de crowfunding dans le monde selon le rapport de Crowdsourcing.

Kickstarter en ses limites

L’un des emblèmes du financement participatif est bien sûr le phénomène Kickstarter, qui pour sa troisième année d’existence a levé 119 millions de dollars pour les projets qu’il accueille en s’octroyant 6 millions de commissions, rapporte The Next Web dans un très intéressant article qui détaille l’activité de la plate-forme. Les plates-formes de financement participatif profitent du développement de nouvelles possibilités de fabrication, plus agiles, notamment des entreprises chinoises, souligne Gadi Amit dans Wired, surtout parce qu’elles ont montré qu’elles pouvaient par ce biais trouver des financements importants. Elles transforment l’économie même du soutien aux projets innovants, permettant à des start-ups de se passer de capitaux risqueurs parfois trop frileux.
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Image : page d’accueil du site Kickstarter.
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Image : le financement des projets sur Kickstarter par catégories, par Ben Jackson pour the Next Web.
Bien sûr, ces plateformes ne sont pas sans risques pour ceux qui y investissent, comme l’explique Aarti Shahani sur NPR. Que se passe-t-il si un projet financé ne parvient pas à fournir le produit qui a été financé ? Le problème n’est pas encore arrivé, répond l’un des cofondateurs de Kickstarter. Pourtant, les délais annoncés par certains projets n’ont pas toujours été respectés – le professeur de management Ethan R. Mollick de l’école Wharton de l’université de Pennsylvanie, dans l’un des rares articles scientifiques sur le sujet, estime que 75 % des produits sont livrés avec retard – et un porteur de projet a déjà disparu dans la nature en emportant l’argent de ses financeurs. Si le site sait rembourser les financeurs de projets qui n’ont pas atteint la somme désiré, il ne dispose pas de mécanismes d’assurances pour les projets qui n’arrivent pas à terme une fois leur financement rassemblé… La dissolution de l’investissement dans une agrégation de petites sommes dissout non seulement le risque, mais aussi la responsabilité… Qui portera plainte pour la perte d’un investissement non conséquent ?
En attendant, le recours aux plates-formes de financement participatif progresse. Tant et si bien qu’on se demande quels secteurs il ne touchera pas. Si Kickstarter finance principalement des films, de la musique, des projets de design ou des jeux…, on voit de plus en plus apparaître sur ces plates-formes des projets de dispositifs technologiques et d’objets connectés. Mais pas seulement…

Le financement participatif : plateforme de services urbains ?

Pour palier au changement de configuration du système d’exploitation mobile d’Apple, l’organisation associative OpenPlans a lancé une campagne sur Kickstarter afin de récolter des dons et permettre aux gens de continuer à accéder à de l’information de transit pour leurs déplacements en temps réel (que la prochaine version de l’OS devrait rendre indisponible), explique Alex Howard pour O’Reilly Radar. Kevin Webb, responsable d’OpenPlans souligne : “Pour ceux d’entre nous qui travaillent dans la communauté de l’open government, il s’agit de démontrer pourquoi les données publiques ouvertes sont importantes. Il n’y a pas de raison qu’une importante infrastructure civique doive être liée à un combat entre Apple et Google. Et dans les communautés disposant de spécification de flux de transits généraux, il n’y en a aucune.” Pour cela, OpenPlans travaille avec des agences publiques à construire OpenTripPlanner, une application open source qui utilise des informations de transit ouvertes pour aider les utilisateurs à faire de bonnes décisions dans leurs déplacements et qui pourra être disponible sur toutes les plateformes, quel que soit leur système d’exploitation.
Pour Alex Howard, l’utilisation de Kickstarter est une nouvelle façon pour les communautés de financer collectivement la création d’applications ou de services citoyens que les autorités ne savent pas offrir. Mais également un moyen pour contourner les limites des marchés publics traditionnels ou les autorités elles-mêmes.
Webb explique encore que les fondations et les mécènes sont peu intéressées la plupart du temps par le développement d’outils et que les agences n’ont souvent ni le pouvoir ni les budgets pour soutenir des projets de ce type, plus universels que leurs actions localement circonscrites.
Mettre seulement l’accent sur les applications de transports ouvertes, cependant, serait passer à côté de plus grandes opportunités pour construire des améliorations à l’infrastructure de la ville numérique, estime Alex Howard. Le financement participatif pourrait être un recours pour bâtir bien des infrastructures de la ville numérique de demain… que les services publics ne savent pas bâtir. De là à utiliser le crowdfunding pour construire des services publics qui n’ont rien de numérique, il n’y a qu’un pas… qu’il faut peut-être se garder de franchir, prévient avec beaucoup d’intelligence Ethan Zuckerman sur son blog.
La réflexion du chercheur du Centre Berkman pour l’internet et la société a mûri à l’occasion d’une réunion au MediaLab du MIT organisé par la Fondation Awesome, fondée par Tim Hwang et Christia Xu, pour discuter des nouvelles approches de la philanthropie (dont le Centre pour les médias citoyens a rendu compte). Cette fondation philanthropique consiste chaque mois à verser une cagnotte à l’un des projets les plus étonnants que ses membres auront remarqués. La Fondation dispose désormais de 50 chapitres répartis dans 10 pays et a parrainé plus de 250 projets allant de panneaux d’affichage gratuits à des capteurs environnementaux… Lors de cette réunion, l’accent bien sûr a été mis sur le financement participatif qui cherche à démocratiser la philanthropie. Si 80 % des Américains donnent du temps ou de l’argent à des organisations caritatives, très peu sont impliqués dans la manière dont les fonds sont alloués. Des initiatives comme Donors Choose ouGlobal Giving permettent désormais aux donateurs de choisir les projets qu’ils veulent aider.

Comment utiliser intelligemment le crowfunding pour les projets citoyens ?

“Jase Wilson, le gars qui essaye de financer la ligne de tramway de Kansas City est-il un agent de la droite radicale ? Bien sûr que non”, ironise Ethan Zuckerman. “Il est un gars bien intentionné qui se tourne vers un modèle qui a fait ses preuves en ligne pour soutenir un projet dont il se soucie. La nature des conséquences imprévues, c’est la diminution des autres activités utiles. Rassembler son voisinage pour rendre le quartier meilleur est une bonne chose. Comprendre comment le faire en minimisant les impacts politiques indésirables est encore mieux.”
Le financement participatif citoyen est inévitable, notamment parce qu’il est en harmonie avec d’autres formes d’organisation basées sur l’internet, estime Ethan Zuckerman (et également parce qu’il peut être une solution face à la diminution des recettes et des dépenses publiques ajouterais-je). Le crowfunding citoyen s’appuie sur un grand nombre de mécanismes mis en avant par l’écosystème open source de l’internet : la formation de groupes rapides et légers, la coordination des efforts, l’intérêt personnel éclairé… Encore faut-il en éviter les inconvénients.
Et Ethan Zuckerman de préciser quelques règles pour cela :
- Eviter la rhétorique qui postule que le financement participatif est un remède à l’inaction du gouvernement. Il vaut mieux affirmer, comme l’a fait parfois le mouvement Occupy notamment en fournissant de la nourriture aux communautés de sans-abris, que ces services sont un exemple de ce que nous voudrions que les gouvernements fournissent et un moyen de pression sur ce que le gouvernement devrait faire.
- Faire que les projets de financements participatifs tirent parti des dispositifs existants. Ioby est un site de financement participatif citoyen qui cherche à changer l’environnement de voisinage. Un de leurs projets phares est d’aider les communautés Latinos de San Francisco a impliquer leurs édiles à convertir des interstices urbains en parcs publics. Leur projet ne cherche pas à construire un parc, mais à récolter quelques milliers d’euros pour s’assurer que la communauté pourra participer aux audiences et faire pression sur les fonctionnaires municipaux pour défendre leurs droits et leurs réclamations.
- Utilisez le financement participatif pour réfléchir et innover et laissez les autorités mettre en oeuvre. Les gens derrière le projet Low Line ont peut-être une bonne idée : le financement participatif peut aider à attirer l’attention sur un projet citoyen et permettre la conception d’un prototype novateur. Le financement participatif doit permettre de trouver des façons de coopérer avec les autorités pour soutenir de nouveaux espaces publics, des oeuvres d’art, etc. En permettant de créer des liens gouvernementaux appropriés, ils pourraient même être un critère d’évaluation de projets viables.
- Privilégiez des projets qui créent du capital communautaire grâce au bénévolat et qui ne cherchent pas seulement à soutirer de l’argent. L’une des promesses du financement participatif est qu’il renforce les quartiers et communautés. Les projets qui encouragent l’activité volontaire (commeKaboom, pour construire des terrains de jeux) aident à renforcer le capital civique local.
- Ne laissez pas les autorités transformer les projets non financés en projets de financement participatif. Utilisons plutôt le financement participatif pour exercer des pressions, pour montrer que les gens s’investissent et s’assurer que l’argent des villes, des Etats et de l’Etat fédéral pour les transports, les espaces publics ou les arts n’est pas coupé.
“Le financement participatif devrait être l’occasion de fabriquer des biens et des services publics plus impressionnants, pas de transférer la responsabilité publique sur le dos de donateurs connectés à l’internet !”, conclut avec raison le chercheur.
Hubert Guillaud
Source : InternetActu

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