lundi 14 mai 2012

Greenpeace chasse le nuage (informatique)


Continuant sa démarche de sensibilisation à l'impact environnemental des nouvelles technologies, l'organisation de défense de l'environnement Greenpeace a publié le 17 Avril 2012 une étude sur le "cloud computing" (informatique dans le nuage) et l'énergie qu'il consomme. Intitulée "How Green is your Cloud ?", l'étude de Greenpeace s'emploie à déterminer l'ampleur de la consommation énergétique des centres de données consacrés au cloud computing, et analyse les choix des principaux acteurs de l'industrie au regard du mix énergétique utilisé pour alimenter ces centres.

Le cloud computing, un modèle en pleine expansion

Le National Institute of Standards and Technology (NIST) définit le cloud computing comme l'accès via le réseau, à la demande et en libre-service à des ressources informatiques virtualisées et mutualisées [1]. Pour les consommateurs, cela se traduit par des services comme GMail ou Hotmail pour la messagerie, Drop Box, Box.net ou encore iCloud, pour le stockage de données.

La consommation électrique des centres de données au niveau mondial en 2010 était de 238 TWh (soit 1.3% de la consommation annuelle mondiale), dont 76 TWh aux Etats-Unis [2]. D'après Greenpeace, on estime que près de 500 milliards de dollars (380 milliards d'euros) seront investis cette année dans la création de nouveaux centres de données. S'iI est difficile d'obtenir une estimation de la consommation directement imputable au cloud computing, celui-ci représente une part en forte croissance de la consommation des centres de données.

Si la mutualisation des ressources au sein du cloud permet d'espérer des gains en termes d'efficacité énergétique [3], l'importante consommation électrique des centres de données du cloud computing amène à s'interroger sur les impacts environnementaux que cette consommation peut entraîner. En particulier, des sources d'énergies utilisées dépend directement l'impact climatique du cloud computing.

Des résultats très inégaux

Le rapport de Greenpeace vise les objectifs suivants :
- Estimer les consommations d'électricité des centres de données des principaux acteurs du cloud computing ainsi que du mix énergétique qui les approvisionne, notamment la part de charbon, de nucléaire, et de renouvelables.
- Créer un Indicateur d'Energie Propre (Clean Energy Index) qui permet de classer les acteurs de l'industrie en fonction de la "propreté" de leurs centres de données.
- Evaluer les principaux acteurs de l'industrie du cloud computing en matière de transparence sur leur approvisionnement énergétique, sur l'emplacement et l'efficacité énergétique de leurs infrastructures, et sur leur engagement public en faveur des énergies renouvelables.
- Interpeller les acteurs du secteur pour les inciter à donner une priorité plus importante au critère du mix énergétique au sein de leurs processus de décisions.


Carte interactive localisant les centres de données étudiés dans le rapport GreenpeaceCrédits : Wired Science

Amazon, Microsoft et Apple sont clairement identifiés comme les "mauvais élèves" parmi les entreprises connues du public, principalement en raison de leur forte dépendance au charbon pour alimenter leurs centres de données, de leur forte croissance dans ce domaine et de leur manque de transparence. A l'inverse, Yahoo! et Google sont mis en avant pour leurs bonnes performances dans ce domaine. Greenpeace souligne leur dépendance modérée au charbon et au nucléaire ainsi que le fait "de montrer l'exemple en faisant de l'accès aux énergies renouvelables une priorité pour la croissance de leur cloud" et leur soutien de plus en plus actif "aux politiques favorables à l'augmentation des investissements dans les énergies propres."

Dans une moindre mesure, Facebook est également cité pour ses efforts en faveur de l'adoption d'énergies renouvelables, notamment pour son nouveau centre de données en construction en Suède qui devrait être alimenté à 100% par des énergies renouvelables, et pour sa politique qui vise à renforcer la place de ce critère dans le processus de décision.

Le manque de transparence du secteur gène la réalisation de l'étude

Une partie des données exploitées par Greenpeace ont été estimées, à cause du peu de données rendues publiques par les entreprises concernées par le rapport, ou de leur inadéquation avec le cadre du rapport. En particulier, la consommation électrique totale d'un centre et la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique ont souvent du être estimés à partir d'un ensemble de sites similaires.

Ces évaluations donnent parfois lieu à des contestations de la part des entreprises concernées : par exemple, Apple est en désaccord avec l'estimation que GreenPeace a fait de la puissance consommée par son nouveau centre de données "modèle" de Maiden en Caroline du Nord. Greenpeace l'a estimée à 100MW, Apple a répondu que les installations consomment 20 MW...

De même, la plupart des opérateurs ne communiquent pas le mix énergétique de l'électricité qui alimente leurs centres de données. Pour son calcul de l'Indice d'Energie Propre, Greenpeace s'est donc basé sur la production d'électricité dans les régions concernées et sur le mix énergétique utilisé par les compagnies d'électricité qui alimentent les centres de données.

L'efficacité énergétique privilégiée au détriment des performances environnementales réelles

Greenpeace déplore le choix que font les entreprises du secteur d'orienter principalement leurs efforts et leur communication sur des mesures d'efficacité énergétique au détriment de leur performance environnementale globale. En particulier, il leur est reproché de communiquer principalement leurs performances en termes d'économies d'énergie, et plus rarement des informations comme la consommation électrique totale d'un centre, la composition de son mix énergétique ou ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces informations sont pourtant plus adéquates pour évaluer la performance environnementale d'une infrastructure.

Greenpeace pointe notamment la trop grande importance accordée au PUE (Power Usage Effectiveness) dans la communication des entreprises. Il s'agit d'un indicateur utilisé pour mesurer l'efficacité énergétique globale d'un centre de données, en calculant le rapport entre la consommation électrique totale d'un centre et la seule consommation des équipements informatiques [4]. Alors qu'à l'origine cet indicateur était réservé à un usage interne pour la gestion d'un centre de données, il est à présent couramment utilisé par les entreprises pour communiquer sur leur performance environnementale. Cependant, le PUE, limité à l'efficacité énergétique, ne fournit aucune information sur la consommation totale d'énergie, la composition du mix énergétique ou l'impact climatique des installations.

Des outils plus adaptés à ces exigences existent, comme le CUE (Carbon Usage Effectiveness), qui exprime la quantité d'équivalent carbone émise en fonction d'un kilowattheure de consommation électrique [5]. Cependant, peu d'entreprises du secteur réalisent ces calculs, et elles sont très réticentes à les communiquer au public. Parmi les entreprises évaluées dans le rapport, seule la société Akamaï, un acteur de poids du cloud computing qui propose des services aux entreprises, a rendu public ses performances avec l'indicateur CUE. Ces efforts en matière de transparence ont été soulignés par Greenpeace.

La "propreté" de l'électricité est très dépendante du lieu d'implantation

Il existe un lien fort entre l'emplacement des installations et la composition du mix énergétique. Si les exploitants de centres de données disposent de solutions pour modifier la composition de leur mix énergétique, ils restent malgré tout très dépendants de la production des compagnies d'électicité locales. En toute logique, il est plus difficile d'obtenir de l'énergie propre dans des régions mal fournies en la matière.

Le choix de l'emplacement du futur centre de données doit prendre en compte ce critère, sous peine d'être contraint d'alimenter les installations avec des énergies fossiles. D'après Greenpeace, " [le choix de] l'emplacement est le facteur le plus déterminant quant à la décision d'alimenter le centre de données avec l'énergie propre ou sale, et ainsi est par conséquent le facteur le plus important en terme d'impact environnemental". Ce constat s'applique d'autant plus aux Etats-Unis, où le charbon représente 45% du mix énergétique au niveau national et jusqu'à 80% dans certaines régions [6].

Cependant, l'accès à des sources d'énergie renouvelable est rarement considéré comme une priorité au sein du processus de décision. D'autres facteurs sont souvent perçus comme étant davantage prioritaires : les incitations fiscales, le climat de la région (qui affecte directement les dépenses de climatisation), la proximité des utilisateurs finaux, la qualité des infrastructures électriques et de télécommunication, et le prix de l'électricité.

Greenpeace encourage les acteurs du secteur à accorder plus d'importance au critère d'accès à de l'électricité d'origine renouvelable lors du processus de décision de la construction d'un centre de données.

La carte ci-dessous permet de présenter les principaux centres de données étudiés par Greenpeace [7]. En cliquant sur une icône, il est possible de visualiser la part de charbon dans le mix énergétique qui alimente un centre. De manière générale, celle-ci reste assez semblable à la moyenne de l'état dans lequel il se trouve.


Tableau récapitulatif des résultats du rapportCrédits : Adapté de Greenpeace

Des solutions à privilégier pour rendre le cloud vraiment "vert"

Pour faire évoluer cette situation, Greenpeace encourage les entreprises engagées à investir ou à acheter directement de l'énergie renouvelable, et de se prononcer en faveur d'un changement de réglementation auprès des autorités et des compagnies d'électricité pour accélérer l'investissement dans les énergies renouvelables. Plusieurs solutions sont évoquées :
- Implanter les installations dans des endroits disposant d'un accès facile à une importante production d'énergie renouvelable.
- Signer des contrats d'achats à long terme (Power purchase agreement) avec les compagnies d'électricité, dans le but de garantir l'approvisionnement au meilleur prix d'une production d'électricité d'origine renouvelable.
- Développer la production d'énergie renouvelable sur site.
- Investir dans des projets de production d'énergie renouvelable.
- Financer des projets locaux d'amélioration de l'efficacité énergétique.
- Prendre publiquement position en faveur des énergies renouvelables.

Greenpeace met en garde contre le recours excessif au REC (Certificats d'Energie Renouvelable) [8], puisqu'ils peuvent être vendus séparément de la production physique d'énergie et peuvent ainsi encourager la spéculation. Ils sont jugés moins efficaces pour le développement des énergies renouvelables que d'autres actions comme l'investissement direct dans des projets de production. Greenpeace recommande de n'avoir recours à l'achat de REC pour "verdir" son mix énergétique uniquement lorsque les autres options plus efficaces ne sont pas réalisables.

Et en France ?

On peut noter qu'aucun des centres de données en France ne figure dans le rapport de Greenpeace. Cela est peut être dû au fait que la problématique du cloud computing en France diffère en partie de celle mise en lumière par Greenpeace dans le rapport, puisque la production d'électricité y est très nettement moins carbonée que celle des autres pays développés (90g CO2éq/kwh, contre 531g CO2éq/kwh pour les Etats-Unis), principalement grâce à la prédominance de l'énergie nucléaire (de l'ordre de 75% du mix énergétique). De fait, la répartition des sources d'énergie est très uniforme sur le territoire, ce qui limite l'importance de la question du mix énergétique dans la localisation des infrastructures. Cependant, à cause de la forte croissance du secteur (près de 20% par an), les mêmes difficultés à alimenter les centres de données en énergie renouvelable pourraient être constatées.

Dans ces conditions, il serait intéressant de comparer l'impact climatique de l'approvisionnement électrique des centres de données par rapport à celui de la phase de conception des installations et du matériel. De même, étudier les efforts en termes d'efficacité énergétique ou d'éco-conception du matériel contribuerait à mieux évaluer l'impact environnemental global d'une infrastructure "cloud". Avis aux promoteurs du projet Andromède, le "Cloud français" [9]...



ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 289 (11/05/2012) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/69985.htm


- [1] "Le NIST livre enfin sa définition finale du Cloud Computing" - Bulletins Electroniques Etats-Unis n°264 - LOHIER Frédéric - 28/10/2011 -http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/68056.htm
- [2] -"L'augmentation de la consommation électrique des centres de données ralentit" - Bulletins Electroniques Etats-Unis n°256 - LOHIER Frédéric - 26/08/2011 - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/67508.htm
- [3] "Cloud Computing and Sustainability: The Environmental Benefits of Moving to the Cloud" - Microsoft with Accenture and WSP - Novembre 2010 - 16 pp. - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/PJnXa
- [4] "Power Usage Effectiveness (PUE)" - SearchDataCenter - Mai 2008 -http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Z0QB0
- [5] "What is Carbon Usage Effectiveness (CUE)" - The Future of Entreprise Computing - RICHARD Michael G. - 22/04/2011 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/RCLw4
- [6] "Annual Energy Outlook 2012 Early Release Overview" - U.S. Energy Information Administration - 23/01/2012 - 13 pp. -http://205.254.135.7/forecasts/aeo/er/pdf/0383er(2012).pdf
- [7] Détail des sites considérés dans l'étude Greenpeace :http://redirectix.bulletins-electroniques.com/FGOjJ
- [8] "Renewable Energy Certificates (RECs)" - U.S. Environmental Protection Agency - http://www.epa.gov/greenpower/gpmarket/rec.htm
- [9] "Une solution française face au cloud computing" - lefigaro.fr - CHERKI Marc - 05/12/2011 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/Xy437

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire