mardi 6 décembre 2011

Quirky : et si l'avenir de l'innovation était collaboratif ?

Pour un entrepreneur, transformer une idée de produit en objet tangible et commercialisable est un vrai parcours du combattant, tant les compétences à maîtriser sont nombreuses et complexes : marketing, design, levée de fonds, production, vente, etc.. Très peu "d'inventeurs" détiennent cet ensemble de connaissances ou prennent le risque de consacrer 100% de leur temps développé leur invention. C'est pourquoi un grand volume d'idées, même brillantes, restent souvent lettre morte.

Ben Kaufman, fondateur de Quirky, est donc parti de ce constat avant de créer son entreprise. Elle est entièrement basée sur le "développement social de produits". Par développement, Ben Kaufman entend expertise distribuée. Convaincu de la capacité des individus à transformer des idées en produits prometteurs, il a souhaité mettre au point une structure collective capable de sélectionner les meilleurs projets et de permettre à leurs inventeurs de les voir aboutir, grâce à l'expertise de Quirky en développement de produits. Le Graal de l'innovation sociale, en quelque sorte.

Chaque semaine, près d'un millier d'idées sont proposées sur la plateforme Quirky, pour un coût unitaire de 10 dollars par idée. Ces "idées" peuvent prendre des formes et niveaux de développement variables : cela va de la simple observation liée à un problème à la description précise d'un prototype. C'est alors que la communauté de conseillers, appelés "influenceurs" [1] par Quirky, entre en jeu en votant pour les meilleures idées, en les modifiant, en proposant des alternatives ou autre suggestion. Chaque semaine, les deux projets ayant obtenu le plus de votes et "d'influence" sont retenus. Ils passent alors en phase de "développement" et c'est alors qu'entrent en jeu les équipes de Quirky, qui réunit en son sein les principaux corps de métier (designers, ingénieurs et spécialistes du marketing et développement de produit). Une version "beta" du produit est développée par ces derniers puis mis en "pré vente" sur le site de Quirky afin de tester le potentiel commercial du produit. Si un certain seuil est atteint, la preuve de l'attrait du produit est alors validée et celui-ci est définitivement sélectionné pour être mis en production à grande échelle et mis en vente sur le site de Quirky ainsi que dans un ensemble de magasins partenaires de la société (plusieurs centaines sur le territoire américain).

Avec tant de personnes impliquées dans le processus de développement, la première question qui se pose est celle de la répartition des profits. Afin d'optimiser l'implication des membres de la communauté et inciter les inventeurs à déposer leurs idées, Ben Kaufman a imaginé un modèle astucieux et évolutif, qui récompense toute personne ayant apporté sa contribution au développement du produit. La plateforme est ainsi capable, selon un algorithme, de calculer un pourcentage de profit qui revient à chaque "influenceur", en fonction de son impact sur le développement du produit !

Le modèle financier est le suivant :
- Dans le cas d'une vente directe sur le site Quirky, la société garde 70% des profits, les 30% allant à l'inventeur et à la communauté des "influenceurs", qui se partagent respectivement 35% et 65% du reliquat.
- Dans le cas d'une vente indirecte (magasin, vente par correspondance), Quirky garde 90% des profits, les 10% étant répartis selon le même modèle que précédemment.

Quirky emploie donc un modèle d'affaire unique dont toutes les personnes impliquées semblent tirer parti sous forme de royautés. Le produit phare de la société est une multi-prise flexible qui s'est vendu à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires en quelques mois. L'affaire a rapporté plus de 150.000 dollars à son inventeur en 2011 et les prévisions pour 2012 lui permettent d'espérer plus d'un million de dollars ! Plus de 700 "influenceurs" ont également participé à son développement, définissant notamment le nom du produit, sa forme ou sa couleur. Ces derniers se partageront plusieurs centaines de milliers de dollars cette année, en fonction de leur degré d'impact.

La valeur ajoutée de Quirky, c'est bien entendu de faire bénéficier les porteurs de projet d'une vaste communauté d'experts. On l'estime à quelque 100.000 membres. Combinée à la flexibilité et réactivité interne propre à l'entreprise, la formule permet de bénéficier d'une créativité élevée, et deux nouveaux produits sont mis en vente par Quirky chaque semaine. Une cadence qu'aucune grande entreprise ne pourrait imaginer !

Quirky est souvent présentée, à tort, comme une méthode de "crowdsourcing" de l'innovation. Le modèle d'affaires est en fait bien différent. Si l'entreprise capitalise sur les idées externes et la participation de la communauté, elle reste "maître" des décisions et du processus de développement des produits. Naturellement, ce fonctionnement doit beaucoup aux experts [2] impliqués dont Quirky maîtrise le processus de recrutement. "C'est l'association de la communauté et d'experts et l'échange qui s'ensuit qui rend le modèle de Quirky si efficace" défend Ben Kaufman. "Déléguer l'ensemble du développement et du choix à la communauté serait voué à l'échec.".

Elle est en cela très différente des méthodes de support à l'innovation que nous avons présenté dans nos précédentes éditions, que sont le "crowdfunding" [3] ou les programmes d'accompagnement pour entrepreneurs [4] . Quirky s'adresse aux milliers de personnes porteurs d'idées brillantes mais sans compétences ni temps pour les développer. C'est donc l'accès à un réservoir d'idées quasi inépuisable que s'est ouvert l'entreprise, qui en extrait la plus grande partie des bénéfices. La contrepartie de cette situation est que le degré d'innovation "technologique" des projets est souvent faible, l'accent étant plutôt porté sur le design et l'expérience utilisateur, selon des principes chers à Apple.

C'est pourquoi, en plus de bénéficier d'une grande partie des profits, Quirky devient également le seul détenteur de toute propriété industrielle liée au produit, l'inventeur et les "influenceurs" étant exclus. Certains détracteurs du système ont assimilé ce système à une extorsion de propriété intellectuelle auprès d'inventeurs. Ben Kaufman soutient naturellement un point de vue différent : "permet à des inventeurs de voir leur produit se matérialiser, chose qu'ils n'auraient jamais pu faire par eux-mêmes". En ce sens il est logique que l'entreprise en retire les bénéfices.

Plusieurs tentatives de développement de plateformes et systèmes collaboratifs avaient vu le jour avant Quirky. Mais cette dernière est, à ce jour, la seule société de ce type aux E.-U. avec un modèle d'affaires viable. Les investisseurs ne s'y sont pas trompés, Quirky ayant levé plus de 26 millions auprès de grand fonds de capital risque. En 2011, Quirky devrait générer un chiffre d'affaires de 10 millions.

Le modèle va-t-il être dupliqué par des concurrents ? Difficile de répondre mais si une idée de génie vous traverse l'esprit, vous savez maintenant où aller !

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[1] Tout le monde peut devenir "influenceur", à condition de s'inscrire sur le site.

[2] Designers, Ingénieurs, Responsables marketing, production...
[3] "Le financement des jeunes entreprises innovantes aux E.-U. : une révolution serait-elle en marche ?", BE Etats-Unis 266, 14/11/2011,http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/68170.htm
[4] "Partenariats public-privé : la meilleure structure de soutien à l'innovation ?", BE Etats-Unis 265, 4/11/2011, http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/68079.htm
ORIGINE : BE Etats-Unis numéro 269 (2/12/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/68400.htm

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