mardi 23 mars 2010

Actualité des bâtiments verts

La certification verte d'un bâtiment vaut-elle le (sur) coût ? Depuis cinq ans, les chantiers se multiplient sous la bannière HQE, la certification BBC, les labels Breeam ou LEED (voir ci-contre). Immeubles de rapport, bureaux, logements, écoles, équipements culturels : la vague de l'immobilier durable déferle sur l'Hexagone, avec 15.000 bâtiments en cours de labellisation BBC Effinergie. Le tout avec des coûts de construction majorés de 5 à 10 %.

Pourtant, les pionniers ne font pas systématiquement le même constat, comme le montrent plusieurs études publiées ces derniers mois. Des économistes du Conseil national de recherche canadien (CNRC) ont passé au crible les performances de 100 bâtiments américains construits selon les certifications LEED. Sans surprise, les chercheurs ont calculé que la plupart de ces ouvrages consomment en moyenne 18 à 39 % d'énergie en moins par mètre carré que leurs équivalents conventionnels. Mais entre un quart et un tiers d'entre eux consomment en fait davantage que leurs homologues non certifiés. Un comble pour les investisseurs qui engagent des surcoûts pour acquérir un bâtiment plus performant. L'étude affirme même que les performances du bâtiment sont décorrélées des notes LEED décrochées (silver, gold, platinium).

En France, l'exercice vient d'être mené par une équipe composée de la foncière immobilière Icade et du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Icade fait partie des maîtres d'ouvrage pionniers dans la HQE avec le bâtiment « 270 » à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), livré en 2005. Les auteurs de l'étude, financée dans le cadre du Programme de recherche et d'expérimentation sur l'énergie dans le bâtiment (Prebat), ont longuement interrogé les utilisateurs et les gérants de trois bâtiments tertiaires : le 270 et le Millénaire, tous deux situés à Aubervilliers et appartenant à Icade, ainsi que le pavillon d'accueil de l'institut de recherche Ineris à Verneuil-en-Halatte (Oise).

Des résultats décevants

Ces trois bâtiments partageaient des objectifs de réduction de consommation ambitieux. L'expérience montre que les deux bâtiments d'Icade ont manqué leur cible énergétique. La consommation réelle du 270 atteint 170 kWh/m² par an, soit 50 kWh/m² par an de plus que les prévisions. Le Millénaire a consommé, en 2008, 247 kWh/m 2, contre 217 kWh/m 2 prévu. Comparé à la norme RT 2005, le gain est donc faible, voire nul, mais il reste avantageux vis-à-vis du parc existant, dont l'Ademe estime la moyenne à 286 kWh/m² par an.

L'enquête de terrain a permis de mieux comprendre l'origine de ces dérives. Dans le cas du 270, c'est le cas d'école d'une mauvaise adéquation entre la conception du bâtiment et son usage. Conçu pour fonctionner de jour, il est en réalité occupé également la nuit, car l'un des locataires travaille dans la presse (« Paris-Turf »). Du coup, le chauffage et la climatisation ne passent jamais aux modes de veille prévus. « Pensé dans une logique mono-usage, le bâtiment n'a pas été conçu pour s'adapter à un usage différent à chaque plateau », diagnostique l'étude.

Les exploitants des bâtiments disent également buter sur la sophistication excessive des gestions techniques du bâtiment (GTB) informatiques, réédition du syndrome de la domotique des années 1980. Les occupants rivalisent d'anecdotes : les capteurs de présence déclenchent capricieusement les éclairages. Les stores robotisés, outre des problèmes de fiabilité des moteurs, ont été désactivés par les employés jugeant leur fonctionnement trop bruyant. Les grandes façades vitrées, prévues pour exploiter la lumière naturelle et améliorer le confort de vie, gênent le travail bureautique sur écran. Les utilisateurs ont donc privilégié l'éclairage artificiel et colmaté les baies vitrées, parfois par des cartons bricolés. L'impossibilité d'ouvrir les fenêtres gêne les salariés, qui se plaignent des odeurs corporelles en fin de journée. Quant au système de récupération des eaux pluviales, il n'a jamais été raccordé au double réseau existant. Même l'excellente isolation phonique des bureaux est vécue par certains comme une coupure gênante.

Le pavillon d'accueil de l'Ineris, lui, consomme un peu moins que prévu, bénéficiant de la simplicité de conception de ses dispositifs passifs. Quelques défauts persistent, comme le sous-dimensionnement des chasses d'eau économes, qui ont imposé leur arrêt. Le hall d'accueil est mal chauffé et nécessite des radiateurs d'appoint en hiver. En été, la ventilation nocturne, qui exploite l'inertie thermique du bâtiment, a trouvé ses limites dans les étages élevés, car des questions de sécurité empêchent l'ouverture des portes de bureau, indispensable au système. De plus, ce système est arrêté la nuit par les agents de sécurité qui ne supportent pas les courants d'air induits. « Si le bâtiment ne répond pas aux besoins fondamentaux des utilisateurs, il est alors illusoire d'espérer un comportement plus sobre de leur part », préviennent les auteurs.

Manque de savoir-faire

L'étude canadienne parvient aux mêmes conclusions pour expliquer la dérive de certains bâtiments : changements d'usage et sophistication excessive des technologies. Une étude plus ancienne de l'Energy Centre de l'université de Genève, sur un complexe suisse certifié Minergie, avait constaté une dégradation similaire des performances sur les deux premières années de la vie du bâtiment.

Ces dérives sont bien connues des spécialistes du bâtiment durable. Alain Bornarel, du bureau d'études spécialisé Tribu, rappelle également l'existence d'erreurs de conception et de construction, notamment dues au manque de savoir-faire des artisans français dans l'étanchéité à l'air. Il cite le cas d'un projet tertiaire qui prévoyait un système de ventilation à double flux. Quelques mois après réception, le maître d'ouvrage constate que ses consommations d'énergie sont deux fois plus élevées que prévu. « Le maître d'ouvrage et son bureau d'études avaient décidé, pour des raisons de coût et de facilité d'entretien, de supprimer l'échangeur de chaleur du système », sourit-il. Pour autant, Alain Bornarel se garde bien de fustiger les erreurs de jeunesse de la construction durable : « Je revendique le droit à l'expérimentation et à l'innovation. Il faut suivre sur 2 ou 3 ans le début de vie d'un bâtiment pour stabiliser ses performances.» D'ailleurs, l'expérience n'a pas dissuadé Icade de poursuivre son acquisition de 250.000 m² d'immeubles certifiés HQE.

Source : Les Echos, 23/03/10

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